Si même Ariane 6 s’y met…

Depuis 2016, le Bureau des débris spatiaux de l’Agence spatiale européenne publie chaque année un rapport sur l’état de l’environnement spatial. Le but est de proposer un résumé des activités spatiales mondiales et de déterminer si les mesures de réduction des débris portent leurs fruits. Gardez un point important en tête : « L’environnement orbital de la Terre est une ressource limitée ».
Première constatation qui ne surprendra personne dans l‘édition 2024 : « La quantité de débris spatiaux en orbite continue d’augmenter rapidement ». Il y a ainsi quelque 35 000 objets qui sont désormais surveillés par les agences spatiales.
40 000 objets de plus de 10 cm, dont seulement 9 100 encore actifs
« Environ 9 100 d’entre eux sont des charges utiles actives, les 26 000 autres sont des débris mesurant plus de 10 cm ». Au total, plus de 40 000 débris de plus de 10 cm sont en orbite. On passe à plus d’un million en réduisant la taille entre 1 et 10 cm et à 130 millions si on descend au mm.

Tout petit objet + grande vitesse = gros dégâts
Ainsi, il ne faut pas se fier uniquement à leur taille. En effet, ils tournent tellement vite autour de la Terre que leur énergie cinétique est importante. Maintenant, imaginez une collision avec un satellite tournant dans le sens inverse, lui aussi à plusieurs dizaines de milliers de km/h (la Station spatiale internationale se déplace à 28 000 km/h).
Pour se donner une idée, on rappellera que l’impact sur une des vitres de la Cupola (coupole) sur la Station spatiale internationale (heureusement sans gravité pour l’intégrité de la structure) avait été causé par « un flocon de peinture ou un petit fragment de métal pas plus grand que quelques millièmes de millimètre de diamètre ».
L’ESA donne quelques ordres de grandeur : un « objet d’une taille allant jusqu’à 1 cm pourrait rendre inopérant un instrument ou un système de vol critique sur un satellite. Tout ce qui dépasse 1 cm pourrait pénétrer dans les boucliers des modules d’équipage de la Station spatiale internationale, et tout ce qui dépasse 10 cm pourrait briser un satellite ou un vaisseau spatial en morceaux ».
Le CNES donne une autre comparaison : dans l’espace, « un objet de 1 cm de diamètre aura la même énergie qu’une berline lancée à 130 km/h ».
18 400 satellites ont été mis en orbite, 12 550 sont encore dans l’espace
Sur cette page, l’ESA précise qu’environ 6 440 lancements de fusées ont été réussis depuis 1957, pour environ 18 400 satellites placés en orbite. 12 550 sont toujours dans l’espace et un peu plus de 9 000 sont donc toujours en activité, soit quasiment un satellite sur deux mis en orbite depuis les débuts de la conquête spatiale.
Et la tendance à la hausse a continué de plus belle en 2023 : « le trafic de lancement de charges utiles a de nouveau été le plus élevé jamais enregistré, la plupart des satellites faisant partie de grandes constellations de communications commerciales ». 2024 suit la même tendance pour le moment, avec des allers-retours toujours très importants de SpaceX pour ajouter de nouveaux satellites à Starlink. 69 fusées Falcon 9 ont déjà été lancées rien que sur la première moitié de l’année, avant un échec lors de la dernière mission.
Plus de 6 000 satellites entre 500 et 600 km d’altitude
Conséquence : « l’orbite terrestre basse devient de plus en plus encombrée ». Les deux tiers des satellites actifs (plus de 6 000) se trouvent actuellement entre 500 et 600 km d’altitude. Cela soulève plusieurs inquiétudes : une « collision ou une explosion créerait un grand nombre de débris et serait catastrophique pour tous les satellites partageant une orbite très fréquentée – ainsi que pour tous les engins spatiaux devant passer par ces orbites » pour en rejoindre d’autres plus hautes. Signe d’une tension importante : le nombre de manœuvres d’évitement augmente régulièrement.
Des efforts qui vont dans le bon sens… mais pas chez tout le monde
Les efforts concernant les réductions de débris spatiaux (aussi bien sur les lanceurs que les charges utiles) commencent à porter leurs fruits, selon l’ESA. Les États-Unis aussi s’inquiètent du sujet et la FTC a même prononcé sa première amende pour mauvais désorbitage en 2023. Reste que la Russie et la Chine semblent bien moins préoccupées par ce sujet.
L’Agence spatiale européenne reconnait néanmoins que de manière purement comptable, le nombre d’objets rentrants dans l’atmosphère est en baisse. À cela, une triste raison : la Russie a envoyé un missile fin 2021 pour détruire un de ses satellites, provoquant un grand nombre de débris.

On a toujours plus de débris…
« Environ 90 % des étages des fusées en orbite terrestre basse quitteront désormais des orbites précieuses, conformément aux normes applicables en 2023. Plus de la moitié rentreront de manière contrôlée ». Ce dernier point constitue un axe d’amélioration important pour l’ESA, qui voudrait davantage de retours contrôlés.
Malgré tout, l’année 2023 « a tout de même vu une croissance nette de la population de débris spatiaux ». Et si on continue sur cette lancée, le nombre de débris pourrait plus rapidement augmenter dans les décennies à venir… avant d’atteindre le point du syndrome de Kessler, un scénario catastrophe à la base du film Gravity.
Pour faire simple, il s’agit d’un seuil au-delà duquel « la densité des débris en orbite terrestre basse est suffisamment forte pour que les collisions entre les objets et les débris créent une réaction en chaîne, chaque collision générant des débris qui augmentent à leur tour la probabilité de collisions supplémentaires ».
L’enjeu est important puisqu’il s’agit aussi de garder les orbites terrestres basses accessibles aux humains (dans ou toute autre station spatiale), ainsi que l’espace cislunaire – la région entre la Terre et la Lune. C’est un enjeu « de plus en plus important » pour l’Agence spatiale européenne.
Rendez-vous en 2225
L’ESA propose deux projections pour les 200 ans (oui, 200) à venir. Si on arrête tout de suite les lancements, le nombre de « collisions catastrophiques » continuera d’augmenter, mais de manière très limitée. Par contre, la courbe est plus agressive dans le cas contraire (croissance cubique), sans pour autant arriver à un gain exponentiel à l’horizon 2225.

Comme le montre la courbe noire, « même sans créer de nouveaux débris spatiaux, cela ne suffirait pas à empêcher une série de collisions et de fragmentations ». Pour l’ESA, une solution est donc de nettoyer les orbites des anciens débris sur place. C’est l’idée de ClearSpace-1 de l’ESA qui doit décoller à bord d’une fusée Ariane 6 l’année prochaine.
Ariane 6 qui vient d’ailleurs d’effectuer son premier lancement. L’objectif principal est un succès, mais la fin de la mission ne s’est pas déroulée comme prévu. Résultat des courses, le lanceur a été désactivé et est en orbite pour le moment autour de la Terre au lieu de terminer sa mission dans l’atmosphère comme c’était prévu.