VLOP pas glop
La Commission européenne soupçonne Telegram d’avoir sous-estimé sa présence dans l’UE afin de rester sous le seuil des 45 millions d’utilisateurs (soit 10 % de la population de l’UE) fixé dans le Digital Services Act, révèle le Financial Times (FT). Au-delà, les « très grandes plateformes en ligne » (very large online platforms, ou VLOP) sont en effet soumises à une série de réglementations destinées à contrôler leur influence.
Telegram revendique « nettement moins » que le seuil européen
Telegram avait déclaré, en février, 41 millions d’utilisateurs de sa messagerie dans l’UE, pour 900 millions dans le monde entier. Telegram avait précisé, en juillet, avoir dépassé les 950 millions d’utilisateurs dans le monde entier, mais sans mettre à jour le nombre d’utilisateurs européens.
Elle était aussi censée fournir un chiffre actualisé ce mois-ci, mais ne l’a pas fait, se contentant de déclarer qu’elle avait « nettement moins de 45 millions de destinataires actifs mensuels moyens dans l’UE » relève le FT.
Le fait de ne pas fournir les nouvelles données met Telegram en infraction avec la DSA, ont déclaré au FT deux fonctionnaires de l’UE. Ils estiment en outre qu’il leur semble probable que l’enquête ouverte par le Centre commun de recherche de la Commission (JRC, pour Joint Research Centre, le service interne de données et de science de l’UE) permet de découvrir que le nombre réel était supérieur au seuil fixé pour les très grandes plateformes en ligne.
« Nous devons vérifier [ces chiffres] car Telegram fait l’objet de nombreuses plaintes, en particulier dans les pays baltes et dans les pays où il y a un grand nombre de russophones », avait déclaré Vera Jourová, vice-présidente de la Commission européenne chargée des valeurs et de la transparence, en juin dernier comme le rapporte le Guardian.
Nos confrères précisaient que Telegram affirmait respecter les sanctions de l’UE concernant l’accès aux médias russes tels que RT (anciennement Russia Today) et Sputnik. Elle avait également déclaré qu’elle n’était pas « une plateforme efficace pour diffuser de la désinformation » et que, « contrairement à d’autres applications » elle n’utilisait pas « d’algorithmes pour promouvoir des contenus sensationnels » Elle avait ajouté qu’elle permettait aux utilisateurs russes d’accéder à des informations non censurées.
« Nous disposons de nos propres systèmes et calculs pour déterminer la précision des données des utilisateurs » explique au FT Thomas Regnier, porte-parole de la Commission pour les questions numériques. « Et si nous pensons qu’ils n’ont pas fourni de données utilisateur précises, nous pouvons les désigner unilatéralement [comme une très grande plateforme] sur la base de notre propre enquête »
En ligne de mire, des obligations pour la messagerie
Cette désignation entraîne des obligations plus importantes en matière de conformité et de modération du contenu, d’audit par des tiers et de partage obligatoire des données avec la Commission européenne. Les violations peuvent entraîner une amende pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise, rappellent Engadget et le FT :
« Ces règles, qui comprennent l’interdiction de cibler les publicités sur les utilisateurs en fonction de leur religion, de leur sexe ou de leurs préférences sexuelles, des mécanismes obligeant les plateformes à divulguer les mesures qu’elles prennent pour lutter contre la désinformation ou la propagande, et de nouvelles protections pour les mineurs, ont suscité des contestations juridiques de la part de certaines plateformes en raison de leurs lourdes exigences. »
La Commission regarde Telegram depuis des mois
En février dernier, Bloomberg avait révélé que la Commission européenne envisageait d’ouvrir une enquête sur la manière dont Telegram calcule le nombre de ses utilisateurs, mais également sur les contenus illicites qui circuleraient plus ou moins librement sur la plateforme.
Kaja Kallas, Première ministre de l’Estonie, avait de son côté déclaré : « Nous pensons que Telegram est une plateforme suffisamment importante pour que des obligations similaires à celles de Facebook, X et YouTube s’appliquent à elle. Elle devrait être considérée comme une très grande plateforme en ligne »
L’eurodéputée Stéphanie Yon-Courtin (Renew Europe), spécialiste des questions numériques, estime auprès de La Croix que cette vérification est « plus que nécessaire » « Il faut se rendre compte de quoi l’on parle : des enfants peuvent télécharger Telegram gratuitement sur leur smartphone, taper “drogue”, “cannabis” ou “sexe” sur la barre de recherche et se retrouver sur un canal dédié » s’alarme l’élue, qui réclame a minima un débat en plénière à ce sujet.
Et ensuite ?
Si la Commission décide de désigner Telegram comme une VLOP, elle disposera alors « d’un délai de quatre mois pour se conformer à la DSA » Dans les régles à suivre, il y a notamment « analyser et évaluer les risques systémiques liés à leurs services » Sont particulièrement cités le contenu illicite, les droits fondamentaux, ceux des enfants, la sécurité publique et celle des processus électoraux, la violence sexiste, le bien-être mental et physique, etc.
Sachez enfin que, par la suite, « la Commission révoquera sa décision si la plateforme ou le moteur de recherche n’atteint plus le seuil de 45 millions d’utilisateurs mensuels au cours d’une année complète »
Les règles DSA pour les très grandes plateformes sont entrées en vigueur il y a un an, obligeant les plus grands acteurs en ligne du monde, dont Instagram, Google et TikTok, à embaucher des milliers de personnes pour travailler au respect des règles, rappelle Ars Technica.
Or, de l’aveu même de Pavel Durov, Telegram ne compterait qu’une cinquantaine d’employés, dont 30 ingénieurs. Sans que l’on sache combien serait en charge de la modération et du traitement des demandes d’aide judiciaire.
Or, la messagerie Telegram se vante à la fois de collaborer avec les autorités en bannissant comptes et canaux de discussion à caractère terroriste, mais également de ne divulguer aucune donnée concernant ses utilisateurs, « y compris aux gouvernements ». Ce qui aurait, précisément, conduit Pavel Durov, et son frère, à faire l’objet de mandats de recherche, puis au fondateur de la messagerie d’être arrêté puis mis en examen à Paris, avec interdiction de quitter le territoire.