Laisser-passer A38

Apple, toujours investie dans son bras de fer avec l’Union européenne, vient d’annoncer une série de mesures pour « soulager » les développeurs européens. Plusieurs décisions vont clairement dans le sens des demandes de la Commission. Apple impose toutefois des conditions tarifaires strictes, prélevant sa dime sur toutes les actions.
Depuis plusieurs années, de nombreux éditeurs sont en guerre avec Apple pour sa politique des liens externes dans les applications. C’est une demande récurrente : autoriser les développeurs d’applications à insérer des liens quand ils peuvent mener vers des tarifs plus avantageux que ceux de l’App Store. Autre gros sujet de dissension, les fameux 30 % de commission sur toutes les ventes de la boutique, y compris les achats in-app.
Apple n’a pas caché son dédain face au DMA. Un vaste bras de fer a commencé entre l’entreprise et la Commission européenne, qui ne faiblit pas. C’est probablement à l’heure actuelle le plus gros test du règlement européen, face à un géant américain peu enclin aux concessions. Et ce ne sont pas annonces d’hier soir qui vont détendre l’atmosphère.
Une vraie souplesse pour les liens externes…
Apple présente plusieurs modifications importantes. D’abord, les développeurs vont pouvoir communiquer comme ils le souhaitent sur toute offre d’achat et sur la destination de leur choix. Cette dernière « peut être une place de marché alternative, une autre application ou un site web ». L’accès peut se faire aussi bien en dehors de l’application que via une vue interne.
Ensuite, ils vont pouvoir communiquer et promouvoir des offres au sein même des applications. Par exemple, plutôt que de passer un achat in-app présent sur l’App Store, faire la promotion d’une alternative moins chère disponible ailleurs. Les développeurs auront la liberté de choisir les tarifs et la manière de les présenter. Des explications peuvent même être fournies sur la manière de souscrire à des offres situées en dehors de la boutique.
Libre choix également dans la manière de conduire la clientèle vers une page extérieur, via un lien actionnable qui peut être touché, cliqué ou scanné (code QR par exemple). Le nombre d’URL n’est plus limité et il n’est plus nécessaire de les inscrire dans le fichier Info.plist de l’application.
Enfin, les liens avec des paramètres, des directions ou des liens intermédiaires sont autorisés. À une exception près : ces liens ne doivent pas être utilisés pour renvoyer vers une publicité.
Dans l’ensemble, les développeurs peuvent donc faire à peu près ce qu’ils veulent. En particulier l’essentiel : orienter vers des offres moins chères et situées hors du Store. Ce qui avait signé à l’époque le début de la bataille entre Apple et Epic, largement perdue depuis par le studio.
… mais au prix fort
Apple semble donc avoir répondu à la Commission européenne et aux critiques formulées de longue date par Spotify et Epic. Ces deux dernières avaient cofondé la Coalition for App Fairness pour réclamer des conditions « justes » sur les boutiques d’applications, surtout celle d’Apple.
Les choses ne sont cependant pas aussi simples, car Apple a assorti ces modifications de conditions tarifaires spécifiques. Pour profiter de ces nouveautés, il n’est pas nécessaire d’accepter les nouvelles conditions européennes pour l’App Store, déjà détaillées dans un précédent article (et amplement critiquées). En revanche, selon que ces conditions sont acceptées ou pas, il va falloir payer plus ou moins.
Que prévoient-elles ? Essentiellement deux commissions. La première, nommée Initial Acquisition Fee, est de 5 %. Elle s’applique sur l’ensemble des ventes de biens et services numériques effectuées par un utilisateur sur n’importe quelle plateforme dans les 12 mois suivant l’installation initiale de l’application. Pour Apple, c’est « une manière de refléter la plus-value qu’apporte l’App Store en mettant en relation les développeurs et les clients dans l’Union européenne ».
La seconde commission vient « taxer » plus fortement les ventes de biens et services numériques. Il y a deux cas de figure. Si le développeur passe par les nouvelles conditions disponibles en Europe, la Store Services Fee est de 10 %, ou 5 % s’il fait partie du programme App Store Small Business (ASSB). La Core Technology Fee, qui a fait couler tant d’encre, s’applique alors aussi. Si le développeur reste sur les règles habituelles de l’App Store, la CTF disparait, mais la Store Services Fee est lors de 20 %, ou 7 % pour les inscrits à l’ASSB.
Et non seulement cette commission est plus élevée dans tous les cas, mais elle s’applique dans une fenêtre de 12 mois à compter de l’installation initiale… ou de toute réinstallation ou mise à jour. En d’autres termes, elle est permanente.
En attente de la Commission européenne
Il n’est pas certain que la Commission européenne apprécie ces nouveaux changements. Ce sont, dans les grandes lignes, ceux demandés. Mais les conditions financières sont telles qu’elle pourrait estimer l’ensemble bien trop onéreux et d’une trop grande complexité.
Il va falloir en effet que les développeurs s’arment de patience (et d’une bonne calculatrice) pour tracer leur chemin à travers ce fouillis. Au point de renoncer et d’appliquer les conditions standards ? Ce pourrait effectivement être l’effet recherché. Il est donc probable que la Commission européenne réagisse à ces annonces.
Sans surprise, les réactions d’Epic et Spotify sont très négatives. « Dans l’Union européenne, où la nouvelle loi DMA ouvre la concurrence entre les magasins d’applications, Apple poursuit sa mise en conformité malveillante en imposant une nouvelle taxe illégale de 15 % sur les utilisateurs qui migrent vers des magasins concurrents et en surveillant le commerce sur ces magasins concurrents », fustige Tim Sweeney sur X, fondateur et CEO d’Epic.
« À première vue, en exigeant jusqu’à 25 % de frais pour une communication de base avec les utilisateurs, Apple ignore une fois de plus de manière flagrante les exigences fondamentales du DMA. La Commission européenne a clairement indiqué qu’il était inacceptable d’imposer des frais récurrents pour des éléments de base tels que la tarification et les liens. Nous demandons à la Commission d’accélérer son enquête, d’appliquer des amendes journalières et de faire respecter la loi sur les marchés numériques », a réagi pour sa part Spotify auprès de TechCrunch.