Faut pas s’en faire une montagne

Hier s’est ouvert à Paris le Sommet pour l’action sur l’IA. Que faut-il en attendre de cet événement dont le nom est souvent réduit à « Sommet sur l’IA » ? Quels sont ses objectifs ? De premières actions concrètes ont déjà été annoncées. On vous explique.
Dégrossissons les contours du Sommet pour l’action sur l’IA. Dans une interview à Maddyness, la représentante du président de la République Anne Bouverot explique que ce Sommet est « un mélange de Vivatech et de Choose France, et un objet diplomatique ».
Diplomatique, car le Sommet doit permettre de « mettre en lumière notre écosystème français et de montrer que le développement de l’IA ne se limite pas aux États-Unis ou à la Chine », quand il n’est pas réduit à une guerre entre OpenAI et DeepSeek.
#FranceIA (2017), Stratégie nationale sur l’IA (2018), Sommet sur l’IA (2025)
Ce Sommet est présenté par le gouvernement comme « une troisième étape » dans la stratégie intelligence artificielle de la France, lancée en 2017 avec le plan de bataille #FranceIA. En 2018, nous avons aussi eu une « stratégie nationale de recherche en intelligence artificielle », après un rapport de Cédric Villani.
- #FranceIA : le plan de bataille de la France sur l’intelligence artificielle
- Intelligence artificielle : décortiquons les 235 pages du rapport de Cédric Villani
L’Europe n’est pas en reste avec l’AI Act qui est entré en vigueur 1ᵉʳ août 2024. Une première étape a été franchie le 2 février avec l’interdiction dans l’Union européenne des systèmes d’IA présentant des « risques inacceptables ». D’autres sont à suivre cette année et en 2026.
Au niveau international, c’est le troisième « Sommet » autour de l’IA après celui de novembre 2023 à Londres (Bletchley Park) sur « la sécurité de l’IA » et à celui de mai 2024 à Séoul pour « une IA sûre, innovante et inclusive ».
Renforcer l’action internationale, au service de « l’intérêt général »
Revenons au Sommet. On trouve une première ligne directrice sur le site de l’Élysée : « Pendant près d’une semaine, à partir du 6 février 2025, Paris accueillera de nombreux évènements visant à renforcer l’action internationale en faveur d’une intelligence artificielle au service de l’intérêt général ».
Cinq thèmes jugés essentiels sont abordés : l’IA au service de l’intérêt public, l’avenir du travail, l’innovation et la culture, l’IA de confiance et enfin la gouvernance mondiale de l’IA. La France n’est pas seule aux commandes : cet événement est « co-présidé par la France et l’Inde », rappelle l’Agence Française de développement.

Deux journées scientifiques et un week-end culturel
Hier et aujourd’hui se déroulent des journées scientifiques avec de nombreuses conférences. Ces deux jours sont organisés par l’Institut Polytechnique de Paris, sur son campus. Il s’agit de préparer le terrain avec des « discussions sur les transformations engendrées par l’IA » et des présentations de travaux de recherche.
Pour embarquer le grand public, ce week-end des rencontres culturelles dédiées à l’IA seront organisées : « les participants, tous âges confondus, pourront s’immerger dans les différentes approches de l’IA : par la pratique, par les débats contradictoires, par la découverte d’œuvres et par des échanges avec les artistes ».
- [Enquête] Plus de 1 000 médias en français, générés par IA, polluent le web (et Google)
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L’Élysée revient sur deux facettes de l’IA, décrite comme « une formidable source d’appui aux créateurs », qui « soulève en même temps des questionnements importants sur des sujets comme le droit d’auteur et la rémunération des artistes ». Il y a également une troisième voie (au moins) à explorer : la pollution d’articles GenAI dans des médias en français, comme le montre notre enquête.
Quoi qu’il en soit, il reste des places gratuites à certaines conférences de samedi à la Bibliothèque nationale de France. Samedi et dimanche, la Conciergerie propose un parcours artistique baptisé Machina sapiens dont le but est de « cartographier les enjeux de l’IA générative et de son impact sur la société à travers une vingtaine d’œuvres d’artistes français et internationaux ». Sur son site, la Conciergerie indique que le parcours est « gratuit sans réservation », de 9h30 à 18 h.
Vous pouvez aussi ré(écouter) notre podcast Algorithmique et lire nos différents tutos pour apprendre et tester soi-même le fonctionnement de l’intelligence artificielle et de son entrainement.
- Sommet sur l’IA : (ré)écoutez Algorithmique !
- [Tuto] Intelligence artificielle : les dangers du surapprentissage, comment l’éviter
Lundi des conférences, mardi des discussions avec les chefs d’État
La semaine prochaine, deux gros morceaux sont attendus : « Le Sommet débutera le 10 février au Grand Palais avec un forum qui réunira d’importants acteurs mondiaux de l’IA (gouvernements, entreprises, chercheurs, artistes, acteurs de la société civile, journalistes) » Puis ce sera au tour du « Sommet des chefs d’État se déroulera quant à lui le 11 février, au Grand Palais ».
Lundi sera la journée de « rencontres et discussions entre participants du monde entier » avec des sujets comme l’avenir du travail, l’IA de confiance, le développement des enfants, la gouvernance, les données, les bonnes pratiques… Voici le programme (chargé de cette journée) :

La longue liste des personnalités attendues
Mardi, durant la session plénière, des chefs d’État et de gouvernement ainsi que des personnalités internationales « échangeront sur les grandes actions communes à mettre en œuvre en matière d’IA ». Reste à voir ce qui en sortira.
L’AFP dresse une liste des invités de marque : Premier ministre indien, vice-président américain, vice-Premier ministre chinois, présidente de la Commission européenne, secrétaire général des Nations Unies, directrice générale de l’OMC, secrétaire général de l’OCDE, directeur de l’Agence internationale de l’énergie.
Les patrons de la tech aussi font le déplacement : Sam Altman (OpenAI), Sundar Pichai (Alphabet/Google), Demis Hassabis (DeepMind), Brad Smith (Microsoft), Dario Amodei (Anthropic). Le cas de certaines personnalités reste en suspend, notamment Liang Wenfeng (DeepSeek) et Elon Musk (X). Les français seront évidemment bien représentés avec Xavier Niel (Iliad) et Rodolphe Saadé (CMA CGM) qui ont tous les deux lancé Kyutai, ainsi que « les patrons d’Airbus, Thales et EDF ».
Des conversations plus que des résolutions de problématiques
Anne Bouverot apporte un élément de réponse dans son interview à Maddyness. À la question « n’avez-vous pas peur que l’effet de ce sommet soit un peu comme les effets des COP Climat : beaucoup d’engagements, mais peu ou pas d’impact concret ? », elle reconnait que la portée sera très certainement limitée :
« Notre objectif, ici, n’est donc pas de résoudre l’ensemble des problématiques liées au développement de l’intelligence artificielle, mais plutôt de garantir que des conversations aient lieu, que des initiatives soient lancées, et qu’elles trouvent ensuite des cadres où elles pourront être suivies ».
L’une des dernières décisions de Google devrait alimenter les discussions. En effet, l’engagement selon lequel les IA développées par l’entreprise ne doivent pas servir à la création d’armes a été enlevée de sa déclaration encadrant ses grands principes éthiques et moraux. La société justifie ce changement par une approche basée sur la gestion du risque, grâce à un « framework » dédié.
Une centaine d’évènements également mardi
En parallèle de cette session plénière, une centaine d’évènements sont prévus pour les acteurs de la société civile et les entreprises. Il est question de l’IA et la démocratie, de l’impact environnemental, de la manipulation de l’information, de la cybersécurité, etc.
La CNIL, l’ANSSI, la DGCCRF et la DGE seront présents à Station F mardi pour le Business Day. Son but : « pour sensibiliser les entreprises et startups aux obligations du règlement IA dont l’entrée en application s’opère graduellement depuis l’été 2024 ». Le programme est bien chargé. L’événement est complet, mais il sera possible de le regarder sur YouTube.
Des annonces tous azimuts
Vous l’avez certainement remarqué, avant même l’ouverture de ce Sommet, les annonces fusent de tous les côtés, aussi bien avec des annonces de produits chez les principaux acteurs (nous y reviendrons dans une actualité dédiée), des investissements, des tribunes où chacun donne son avis, des annonces du gouvernement sur les datacenters, etc. Impossible de les citer toutes, mais faisons tout de même une rapide recension :
Sur X, Guillaume Rozier (Conseiller du président de la République) revient sur les premières annonces de l’État autour de l’Intelligence Artificielle. « D’ici un an tous les agents publics bénéficieront de l’IA, notamment au travers d’un agent conversationnel souverain ». Il affirme que l’État « déploiera plus largement les meilleures technologies IA souveraines, proposées par des startups françaises, ou disponibles en open source ».
Dans ce cadre justement, France Travail s’équipe en intelligence artificielle chez Mistral AI et d’autres partenariats du genre « suivront ». Free Mobile vient d’annoncer un assistant IA premium dans ses offres mobiles : le Chat Pro de Mistral AI.
De leur côté, le MEDEF et Numeum dressaient le bilan de leur Tour de France de l’IA auprès des entreprises (lire notre compte rendu). Le mois dernier, les syndicats s’étaient aussi exprimés sur le sujet.
- Intelligence artificielle : le Medef exhorte les entreprises à s’emparer du sujet
- Avec Dial-IA, les syndicats veulent ouvrir le dialogue social technologique
Deux « livrables » : une cartographie de l’INA et une fondation
Hier, l’INA a mis en ligne un des « livrables » de ce sommet de l’IA : une « cartographie des enjeux et usages de l’IA pour le journalisme ». Elle propose des pistes de réflexion sur les usages et les outils IA pour le journalisme, une analyse des enjeux et enfin une grille d’évaluation de son intérêt.

Fin janvier, nous avions déjà évoqué un autre livrable : une fondation pour le développement de l’IA pour « l’intérêt général », avec 2,5 milliards d’euros pour la financer. Son but : proposer des briques d’IA open source et des jeux de données.
Des tribunes comme s’il en pleuvait
Du côté des tribunes, Le Monde en a publié plusieurs ces derniers jours. La première d’une vingtaine d’organisations intitulée « L’intelligence artificielle accélère le désastre écologique, renforce les injustices et aggrave la concentration des pouvoirs ». La seconde d’une centaine d’ONG : « L’IA telle qu’elle est développée alimente un système d’exploitation global ».
Elles demandent respectivement de « résister au déploiement massif de l’IA, au nom des droits humains, sociaux et environnementaux » et de « placer les droits humains et la justice environnementale au cœur de la régulation de l’intelligence artificielle ».
Dans La Nouvelle République, on retrouve une autre tribune de l’Alliance de la presse d’information générale, de la FNPS, du Geste, du SEPM et du Spiil : « Trois conditions pour garantir la fiabilité de l’information et préserver la démocratie à l’heure de l’IA générative ».
« Les services d’intelligence artificielle générative s’imposent à une vitesse fulgurante dans la recherche d’informations, répondant de plus en plus directement aux usagers, sans renvoyer à la source. Ce faisant, ils se substituent aux médias, mais sans leur cadre déontologique », peut-on lire dans cette tribune. Et là encore, ce n’est pas notre enquête qui dira le contraire.
Wikimedia France relaie aussi une tribune du think tank Renaissance numérique avec 43 signataires (dont Wikimédia France) : « Gouvernance mondiale de l’IA : passer à l’action avec la société civile ». Elle demande de mettre en place « d’urgence trois mesures concrètes pour renforcer et faciliter l’implication de la société civile dans la gouvernance de l’IA, pendant et surtout après le sommet : Encourager des processus de sélection plus ouverts et transparents […] Imposer un devoir de réponse aux contributions […] Faciliter le financement. »