
Le CMS libre le plus utilisé au monde voit son écosystème commercial se transformer en champ de bataille entre deux de ses plus gros acteurs. Le co-fondateur du logiciel qui possède aussi l’entreprise Automattic responsable du site WordPress.com, Matt Mullenweg, s’est lancé dans une guerre contre son concurrent WP Engine, aussi bien sur le front juridique que sur celui de la communication.
Depuis quelques semaines, Automattic et WP Engine, deux entreprises qui vendent des prestations de services autour du logiciel libre WordPress, se sont lancées dans une guerre commerciale autant sur le front juridique que sur celui de la communication.
Accès à WordPress.org en question
Dernier épisode en date, WP Engine a demandé [PDF] à la justice américaine qu’elle intervienne pour récupérer son accès au dépôt wordpress.org où sont hébergés les sources du logiciel et des plugins de la communauté, a repéré TechCrunch.
En effet, depuis le 1er octobre, WP Engine ne peut plus accéder à ces ressources. Matt Mullenweg, qui joue avec ses deux casquettes de CEO d’Automattic et de responsable de la fondation WordPress a décidé de bloquer son concurrent au motif que celui-ci ne contribue pas assez au projet open-source et « profère des menaces juridiques » contre WordPress.org.
Il accuse plus clairement le fonds d’investissement Silver Lake, qui possède WP Engine, de « réaliser environ un demi-milliard de chiffre d’affaires sur le dos de WordPress » tout en contribuant « à hauteur de 40 heures par semaine ». Pour comparaison, il ajoute qu’ « Automattic a une taille similaire et contribue à hauteur de 3 915 heures par semaine ».
WP Engine est, depuis, passé à l’action en attaquant Automattic pour tentative d’extorsion. Entre autres, elle dénonce la réclamation d’une redevance de 8 % de son chiffre d’affaires pour utilisation abusive de la marque WordPress.
Ce blocage de l’accès à WordPress.org a eu pour conséquences à court terme de couper aux utilisateurs de WP Engine l’accès aux mises à jour du logiciel et de ses extensions. Mais si WP Engine a pu rediriger assez rapidement ses utilisateurs vers ses propres serveurs afin de leur proposer les versions récentes, ce blocage coupe tous les liens entre l’entreprise et l’écosystème de WordPress.
Double casquette et conflit d’intérêts
Matt Mullenweg utilise dans cette guerre contre son concurrent tous les outils qu’il a gardés à disposition. En 2010, lors de sa création, la fondation WordPress a récupéré des mains d’Automattic la marque du logiciel, mais lui a, de suite, cédé sa gestion commerciale. L’entreprise de Matt Mullenweg est donc l’entité qui est en droit d’accorder la possibilité ou non d’utiliser le terme « WordPress » commercialement. Un droit qui lui donne un sacré avantage dans l’écosystème commercial du CMS.
Et le créateur du logiciel utilise sa double casquette pour faire ses reproches à son concurrent. Un coup, en tant que CEO d’Automattic qui gère la marque, il demande à WP Engine de verser une redevance, un autre, en tant que responsable de la fondation, il bloque l’accès à WordPress.org. L’indépendance de l’organisme créé en 2010 dans le but de mettre de la distance entre le logiciel et Automattic semble réduite à néant.
Prenant sa casquette de gestionnaire de la fondation, il a aussi expliqué que l’équipe de sécurité de WordPress a créé un « fork » du plugin Advanced Custom Fields (ACF) développé par WP Engine. Le nom utilisé pour cette nouvelle branche est très proche tout en incorporant un terme de sécurité rassurant : Secure Custom Fields (SCF). Le code a été aussi opportunément purgé des liens commerciaux vers les services de WP Engine, donnant une couleur de pureté à cette action.
Comme l’a repéré notre lecteur fdorin, ce remplacement d’ACF par SCF s’est fait sans créer de nouvelle page pour le plugin. Conséquence, SCF récupère la réputation du plugin développé par WP Engine, dont le nombre d’installations et les anciennes évaluations. WP Engine a dû transférer son plugin sur ses propres serveurs.
Tension dans tout l’éco-système
La critique de cette gestion a même rejailli au sein de l’entreprise de Matt Mullenweg. Celui-ci a, par deux fois, proposé à ses salariés de partir avec une indemnité conséquente s’ils étaient en désaccords avec lui à propos de sa façon de gérer ce conflit, tout en liant ces propositions de départ aux récentes fuites d’informations relatives à ce conflit. Le média 404 qui a révélé la seconde proposition parle d’ « environnement de paranoïa et de peur à l’intérieur d’Automattic ».
Cette ambiance, instillée tant entre deux des plus importantes entreprises de l’écosystème qu’à l’intérieur de l’entreprise du créateur du logiciel, pose des questions aux autres acteurs qui gravitent autour de WordPress. Et notamment, l’éventualité d’un fork du CMS se répand. Mais la création d’une nouvelle branche de développement stable n’est pas une simple formalité. Sa gouvernance posera inévitablement une ribambelle de questions.
Celle du magasin d’extensions se pose aussi. En effet, WordPress.org, magasin originel, est l’élément centralisateur de la communauté. Mais il reste aux mains de Matt Mullenweg.